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Marcher, c’est la liberté !

le mardi, 06 octobre 2020. Publié dans Point de vue

Marcher, c’est la liberté !

Chemin de 2 km au pied du Salève sur lequel j’ai aperçu des vaches.

À 20 ans, j’ai lu « L’Alchimiste » et « Le Pèlerin de Compostelle » de Paulo Coelho. Je découvrais ce parcours étrange qui mène à Saint-Jacques de Compostelle par la lecture. La légende raconte que l’Apôtre Jacques, disciple de Jésus-Christ, est arrivé dans cette ville du nord de l’Espagne pour évangéliser les gens. Puis il est retourné en Terre sainte. Là-bas, il est mort et plus tard, ses disciples ont ramené sa dépouille à Saint-Jacques pour l’y enterrer. Le pèlerinage à Compostelle a pris de l’importance lors de l’invasion des Maures. Cela symbolisait le combat entre le Christianisme au Nord et la culture mauresque au sud. L’Espagne musulmane a laissé un énorme héritage d’ailleurs, que ce soit architectural ou culturel. En effet, comme les trois religions y ont coexisté pendant des siècles, cela a provoqué d’énormes échanges humains, comme par exemple, la traduction de la Bible du grec ancien à l’arabe ce qui n’aurait pas été possible autrement. De nos jours, la Vieille Ville de Santiago a été classée Patrimoine de l’Humanité par l’UNESCO en 1985.

Ainsi vers 2016, j’ai lu « Immortelle randonnée », dont Jean-Christophe Rufin est l’auteur, membre de l’Académie française, qui relate son grand récit de voyage par « el Camino del Norte » qui longe les côtes basque et cantabrique puis traverse les montagnes sauvages des Asturies et de Galice. Je l’ai lu presque d’un trait. L’auteur y raconte son voyage tout à fait étonnant. Cela a ranimé ma passion pour ce voyage.

J’ai assisté une fois par ailleurs, dans une pizzeria à Châtelaine, à une table de réunion des Amis de Saint-Jacques, des gens qui y étaient allés ou qui avaient fait un bout de chemin de cette randonnée. C’était des personnages pittoresques et j’étais très impressionnée par leurs parcours. Je suis ressortie de cette réunion dans un état bizarre. J’étais quelque peu désorientée.

Puis, le 8 avril 2017 qui était un samedi, je suis partie six jours sur ce chemin mystérieux, toute seule, un sac sur le dos et avec de bonnes chaussures de marche. En fait, j’ai tenu quatre jours et demi, c’est-à-dire jusqu’au mercredi durant lequel je suis revenue en train à Genève.

Voici comment ce voyage à pied s’est passé :
Dans la matinée du samedi, j’ai effectué les derniers gestes quotidiens dans mon appartement à Jonction-Plainpalais : j’ai ramassé quelques balayures, j’ai pris des affaires de toilettes, médicaments, j’ai pris une veste, j’ai pris mon sac à dos, j’ai fermé la fenêtre, j’ai débranché les prises de secteur. Puis j’ai pris les ordures, j’ai fermé ma porte : j’étais lancée, cette fois !

En chemin, je suis passée à la Poste, je me suis munie de 400 € en espèces. Je suis arrivée à l’arrêt « Jonction » et j’ai pris le bus D, puis le bus 46, pour aller à Charrot à Bardonnex, dernière étape de la randonnée pédestre de Compostelle dans le Canton de Genève. Donc, j’ai traversé la frontière et au bout de deux heures de marche, je suis arrivée à Neydens où il y a un gîte dans le camping « La Colombière ».

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Chemin menant à Neydens où se trouve la Colombière

Là-bas, j’ai posé mes affaires. Mais le seul endroit pour manger à midi se situait au centre commercial de Vitam-parc, où j’ai finalement mangé un plat chinois et bu du café dans la galerie du centre commercial.

Je suis partie pour six jours, mais je ne m’étais pas beaucoup préparée physiquement, alors, quand j’ai dû faire l’aller-retour entre la Colombière et Vitam-parc, cela m’a beaucoup fatiguée, j’étais harassée de fatigue. En effet, cela m’a bien pris deux heures supplémentaires pour faire l’aller-retour. À la Colombière, je me suis installée sur le matelas inférieur d’un lit à deux étages, me suis reposée et j’ai envoyé un SMS à mon père et à Béatrice, une amie. Ensuite au soir, je suis allée me faire une douche, j’ai fait une petite lessive et je suis allée manger une salade savoyarde au restaurant du camping. Entre-temps, un couple allemand qui faisait de la randonnée pour leurs vacances m’avait rejointe dans le gîte. Ils m’ont posé quelques questions d’orientation auxquelles j’ai tenté de répondre avec mon guide acheté dans une librairie genevoise qui traçait le parcours de Genève à Le Puy-en-Velay. Après, je me suis couchée et je me suis endormie.

Le matin suivant, dimanche, j’avais les jambes endormies, la tête endormie, je n’avais pas envie d’emballer mes affaires pour poursuivre, mais je me suis dit que je devais avancer. C’est ainsi que j’ai effectué trois heures de marche pour trouver au pied du Salève, le village de Beaumont. J’ai beaucoup peiné sur ce tronçon, car j’ai dû monter des myriades de chemins pentus à travers le Salève. Arrivée là-bas, je me suis recueillie en l’église sarde de St-Etienne devant laquelle il y a une statue de Saint-Jacques, quelque peu en décomposition, et j’ai pris des photos.

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À l’intérieur de l’église sarde à Beaumont

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Statue de Saint-Jacques devant l’église sarde de St-Etienne à Beaumont

Mais j’ai dû attendre de longues heures autour du gîte de cette étape, lequel s’appelle « La Fromagerie » qui est tenu par une femme scandinave. J’étais tellement lassée d’attendre que j’ai failli partir pour le col du Mont-Sion, où je croyais qu’il y avait un hôtel ce qui se révéla non juste, par la suite. Finalement, la patronne qui était allée au ski m’a appelée vers la fin de l’après-midi pour me dire qu’elle arrivait. Je l’avais en effet appelée avant de partir pour la prévenir que j’arriverais le dimanche. Son téléphone se trouvait dans le guide. Alors, à la Fromagerie, j’ai rencontré un autre couple d’Allemands très sympas, très enthousiastes, très souriants et qui avaient un guide beaucoup plus complet que le mien, Brigitte et Giuseppe. Je communiquais avec eux et Brigitte m’a dit que je parlais bien l’allemand ce qui m’a fait très plaisir. En effet, je me suis dit que je n’avais pas fait sept ans de cours d’allemand à l’école pour rien. Nous avons mangé tous ensemble puis sommes allés nous coucher. Moi j’étais sous la mansarde et eux étaient en bas alors que la patronne scandinave avait sa propre maison, juste en face du gîte. Ce qui était cocasse, c’est qu’à côté de Brigitte et Giuseppe, il y avait des ouvriers qui étaient en train de réparer le gîte. Ils étaient dehors quand je suis arrivée dans l’après-midi. C’était des employés de la patronne de la Fromagerie qui étaient en train d’effectuer des travaux de rénovation des murs du gîte. L’un d’entre eux protestait auprès de celle-ci parce qu’ils devaient partager le gîte avec nous les pèlerins. J’ai entendu ronfler toute la nuit, c’était drôle.

Le matin, nous avons pris le petit-déjeuner tous ensemble avec Brigitte et Giuseppe et la patronne, nous avons fait des photos souvenirs et nous nous sommes séparés. Je ne sais plus si j’ai payé 10 € ou 20 € ? En tout cas, j’ai obtenu le tampon sur ma Credencial qui authentifiait mon passage par la Fromagerie. La Credencial est le passeport du pèlerin qui certifie les étapes par un tampon.

Donc, c’était lundi. Je me suis mise en route, mais j’avais tellement la flemme, ma tête était lourde. J’ai marché deux heures au pied du Salève pour arriver à la Chartreuse de Pomier après laquelle j’ai traversé la forêt de Pomier.

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Forêt de Pomier, après la Chartreuse de Pomier, établissement religieux où anciennement il y avait eu des moines qui avaient été persécutés par les révolutionnaires à la Révolution française

Dans la forêt - j’avais si peur !- j’avais l’impression que des elfes et des gnomes allaient surgir des bois. J’ai même croisé une voiture, ce n’était pas évident au niveau des émotions. Puis, j’ai atteint le cimetière de Saint-Blaise, je suis redescendue au col Mont-Sion, où je pouvais voir Genève, mais de très loin.

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Col du Mont-Sion en Haute-Savoie à 785 mètres d’altitude, séparant la commune de Beaumont de celle d’Andilly où se trouve Charly. On aperçoit au loin Genève et le lac Léman.

Après avoir traversé la route qui mène à Cruseilles, je suis passée sur la colline qui mène à Charly. De la Fromagerie à Charly, j’ai marché quatre heures trente, je n’en pouvais plus, je n’avais plus d’eau ! J’ai dû monter des pentes, j’avais soif !

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Chemin interminable menant à Charly dans la commune d’Andilly          

Heureusement, je suis arrivée « Chez l’Odette », le gîte de Charly tenu pas la mairie. Là-bas, j’ai trouvé une cuisine avec des aliments élémentaires et à l’étage des lits. J’étais rassurée, j’ai même parlé à une villageoise qui m’a raconté l’histoire d’Odette, une villageoise défunte qui accueillait les pèlerins. J’étais tellement contente d’avoir un toit et à manger, vous ne pouvez pas l’imaginer ! En effet, l’erreur que j’ai faite, c’était de ne pas avoir pris à manger. J’avais appelé plein d’endroits qui étaient dans mon guide, pour manger, mais beaucoup de ces lieux n’existaient plus ou c’était des gens qui ne voulaient plus recevoir de pèlerins. Alors j’ai mangé, fait la vaisselle, j’ai visité la Chapelle de Saint-Jacques, la petite église du village.

Puis est arrivé chez l’Odette, un pèlerin suisse-allemand du nom de David qui m’a dit qu’il était parti pour trois mois jusqu’à Saint-Jacques, nous avons discuté en français. Il mangeait un œuf dur, j’aurais bien voulu un œuf dur moi aussi, car j’avais fait un repas trop maigre. La nourriture dans ce refuge était trop rudimentaire, j’ai mal mangé. J’ai très mal dormi la nuit, j’étais trop fatiguée, beaucoup trop fatiguée.

Alors, le mardi matin, j’ai appelé un taxi de Saint-Julien – ça m’a coûté 45 € !! -  qui m’a mené jusqu’au « Bar à Thym » qui se situe à Minzier où j’ai visité ma prof de théâtre, Fabienne, et Philippe, membre du comité de l’association genevoise « Co’errance ». J’ai aussi eu une conversation téléphonique avec Charles qui était émerveillé que je sois arrivée près de là où il habite, et ce, à pied depuis Genève. C’était neuf heures trente du matin. Depuis le « Bar à Thym » où j’ai mangé à midi – un maigre repas d’ailleurs !! -, j’ai marché à l’intérieur de l’agglomération et j’ai fini par trouver la maison de Fabienne qui m’a accueillie dans sa maison. Puis, elle m’a dit où se trouvait la maison de Philippe et j’ai dû de nouveau monter un chemin pentu. Il y avait beaucoup de vaches par là.

Finalement, je suis arrivée chez lui, ce qui l’a bien étonné. Il revenait de Nantes où il avait visité sa maman. Vraiment, il n’en revenait pas que je sois là, il y avait sa femme qui est très sympa et son fils Rémi. Nous avons bien discuté, refait le monde. Je me suis éclipsée quand le thème de la politique française est arrivé. Oh oui, je ne voulais pas m’en mêler ! Alors, Philippe m’a ramenée chez Fabienne en voiture. Le soir, Fabienne m’a amenée à Chaumont pour que je pose mes affaires dans mon nouveau gîte, un appartement que m’avait loué une habitante. Puis, nous sommes retournées chez elle, où nous avons pelé des carottes et des pommes de terre en écoutant Piaf. Fabienne a beaucoup de yogourts dans son frigo.

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Route qui monte chez Fabienne et vers chez Philippe à Minzier

Puis après le repas, comme elles devaient elle et sa fille, se lever à 7 heures du matin pour aller travailler, Fabienne m’a raccompagnée à Chaumont où j’ai pris ma douche. J’étais tellement fatiguée que j’ai fait une petite chute dans les escaliers. En effet, le lit était à l’étage. J’ai eu un gros hématome. Je ne me sentais pas très bien, j’ai eu une grande peine à m’endormir et le matin du jour suivant, mercredi, alors que j’aurais voulu dormir tout le matin, la cloche de l’église m’a réveillée à huit heures du matin !! Et en plus, avec tous ces kilomètres dans les jambes !! J’étais morte ! Alors, je me suis habillée, j’ai fait très attention en descendant les escaliers cette fois, j’ai pris le petit-déjeuner et je suis allée sonner chez Mme Révillon, la propriétaire. C’est son mari qui m’a ouvert et je lui ai demandé s’il pouvait m’appeler un taxi pour me rendre à Frangy vers laquelle je n’avais plus ni le courage ni la force d’aller à pied. En effet, à partir de là, je fus dans un état d’alerte pour rentrer le plus vite possible à Genève… M. Révillon m’a tout de suite dit qu’il m’y conduirait en voiture. Pendant le trajet, ce monsieur m’a demandé combien je payais mon loyer à Genève. Quand je lui ai dit la somme, il a été choqué !

Arrivée à Frangy, j’ai remercié ce monsieur et je suis allée au Café du Centre. Là-bas, il y avait un homme et une femme anglais, assis en train de discuter, que j’avais croisés à Chaumont, ils avaient dormi en effet dans un refuge à côté de mon appartement. La dame anglaise avait une chemise couleur fuchsia. J’ai pris deux cafés, j’étais vraiment crevée. Je me suis rendue à l’endroit où m’avait déposée M. Révillon, c’était l’arrêt du bus qui allait à la gare de Bellegarde. Dans le bus, je me sentais vaseuse, j’ai échangé quelques mots avec le conducteur, j’étais la seule à bord ! À Bellegarde, en traversant une rue qui menait à la gare, j’ai chuté, je suis tombée par terre, j’ai eu une contusion au genou. Enfin, j’ai pris le train et en arrivant à Genève, j’ai expliqué vite fait mon parcours au douanier qui surveillait l’arrivée des trains.

Arrivée à la gare Cornavin, je suis allée dans un restaurant chinois où je me suis offert un sacré repas. Puis je me suis rendue au salon-lavoir du Boulevard Carl-Vogt où j’ai lavé toutes mes affaires. Eh oui, et si j’amenais des bêtes indésirables chez moi ? Je devais faire cette lessive. Enfin, je suis rentrée chez moi, je me suis couchée, et j’ai dormi treize heures d’affilée.

Le jeudi matin, je me suis sentie stressée au réveil, je me suis dit que je devais avoir la tension trop haute. Alors je me suis rendue à la pharmacie où je me suis fait prendre la tension qui s’est révélée tout à fait normale ! J’ai compris que j’étais terriblement angoissée. Je crois que je me suis rendue chez mes parents ensuite. Je les ai trouvés très inquiets. Ils me regardaient très préoccupés et je pense soulagés de me voir vivante ! Ils ont eu peur, les pauvres. Je me suis même fait gronder par leur concierge qui ne comprenait pas comment j’avais pu faire ça. Je suis restée la journée avec mes parents, on a mangé, on s’est reposés. Puis je suis rentrée chez moi au soir.

En tout cas, je serais partante pour repartir quelques jours pour atteindre la ville de Seyssel. J’adore marcher dans la nature, cela m’a beaucoup appris de parcourir ce chemin dans ces grands espaces. C’était presque enivrant ! Quelle aventure ! Les personnes que j’ai rencontrées sur ce sentier m’ont donné beaucoup de force et m’ont permis de rebondir malgré des moments plus difficiles, surtout au niveau de la fatigue. Je pense que j’aurais peut-être moins de peine cette fois, car j’amènerais de la nourriture consistante dans mon sac, comme des fruits secs, des noix et des œufs durs ! En plus, j’ai repris le sport depuis cette expérience, je vais en salle deux à trois fois par semaine… je vais beaucoup mieux ! Je profite encore beaucoup des effets de cette grande randonnée, je me sens plus sûre de moi, plus combative, et peut-être même que c’est tout ça qui m’a aidée à faire plusieurs changements dans ma vie.

Alors je conseille à tous de tenter ce périple, car on rencontre des inconnus qui ont le même trip que vous. Vous vous sentez proche d’eux sans les connaître, ce sont des moments de bonheur et de partage même si on ne les reverra jamais. Je dirais même qu’il y a une sorte de confiance entre les pèlerins. Est-elle due à ce grand voyage proche de la nature où nous nous rappelons de nos ancêtres qui étaient des paysans, qui gardaient les vaches ? En tout cas, ce voyage a été une grande respiration dans un quotidien qui était trop banal ? Qui ne me satisfaisait pas ? Où je me sentais coincée par certaines réalités ?

D’ailleurs, je vis tout ça encore comme une libération. Incroyable, non ?

Bien sûr, ces changements qui sont arrivés tout naturellement, sans que je les programme, m’ont coûté bien des épreuves, bien des moments difficiles, mais le résultat, cela a été bien plus de satisfaction dans mon quotidien. Donc à refaire, si nécessaire !

Infos sur les livres cités dans le texte

Titre : L’Alchimiste
Auteur : Paulo Coelho
Éditeur : J’ai Lu
Date de parution : février 2007
Nombre de pages : 190 pages

Titre : Le Pèlerin de Compostelle
Auteur : Paulo Coelho
Éditeur : J’ai Lu
Date de parution : avril 2009
Nombre de pages : 243 pages

Titre : Immortelle Randonnée
Auteur : Jean-Christophe Ruffin
Éditeur : Éditions Michel Guérin
Date de parution : avril 2013
Nombre de pages : 258 pages