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L'ennui, désavantage ou privilège ? Les enjeux

le jeudi, 15 février 2024. Publié dans Point de vue

L'ennui, désavantage ou privilège ? Les enjeux

Lorsqu’une impression de vide vient remplir notre vie apparaît un sentiment de lassitude et de véritable ennui, un des premiers ennemis de l’homme depuis son existence. En effet, l’ennui ne représente pas seulement une pénibilité existentielle, mais se trouve également au croisement de plusieurs chemins de notre comportement.

Une personne qui s’ennuie va être sujette à une certaine nervosité et dans certains cas risquer de s’enfoncer dans les vices de l’oisiveté, telle la consommation de drogues ou d’alcool, sombrer dans l’agressivité et tomber dans une dépression sévère.

Rappelons-nous aussi que nous vivons dans une société de productivité qui ne laisse guère que peu d’espace à l’ennui, mais cette configuration ne se vérifie pas pour tout le monde. Si nous prenons l’exemple d’une personne en position de handicap et qui de ce fait ne peut travailler, elle sera plus sujette à s’engluer dans ce sentiment de vide qu’une autre. Or, l’ennui ne frappe pas seulement les personnes handicapées, mais également les autres.

Nous tenterons dans cet article de comprendre pourquoi les uns et les autres sont tombés un jour dans l’ennui et comment ont-ils réagi face à ce dernier.


 

Si pour certains l’ennui est synonyme d’oisiveté pour d’autres il est assimilé sous forme d’action monotone ou répétitive et provoquer de l’insatisfaction. Généralement, l’ennui a une connotation plutôt négative, mais nous verrons par la suite qu’il peut aussi se transformer en ressource.

Concernant ceux pour qui l’ennui est néfaste, il semblerait que le temps s’arrête et que la confrontation avec la réalité se mette en avant, laissant rebondir l’inoccupation associée à un sentiment négatif et très nuisible. Chez certains sujets, comme nous l’avons mentionné auparavant, l’inaction ou la monotonie peuvent être génératrices de comportements inopportuns ou de dépression sévère. Cependant, soyons attentifs aussi au fait que cette confrontation avec la réalité peut également stimuler un temps de réflexion pour d’autres, les coupant du fracas quotidien, des appareils électroniques et les mettant face à l’évaluation de nouveaux objectifs. Soudain errants dans un univers douteux, certains esprits en profitent pour réfléchir et reprendre la maîtrise de leur vie.  Que de bonnes résolutions demeurent parfois à l’origine de l’ennui et que de bons projets peuvent être réalisés durant ces moments de vide…Manifestement, l’inaction pourrait provoquer l’action et se transformer en la concrétisation de ce que nous voudrions. Il est en effet souvent difficile de prendre des résolutions pondérées durant des moments de chaos et la suspension du temps se révèle vite favorable.

Qui ne s’est-il jamais vraiment ennuyé une fois dans sa vie ? À croire que l’ennui est un sentiment naturel présent déjà chez de nombreux enfants chez lesquels plusieurs stimulis se mettent de ce fait en action les orientant rapidement vers la découverte et la trouvaille. En réalité qui ne s’arrête pas ne peut vraiment agir et avancer correctement. Rappelons-nous à cet égard des anciens Romains couchés sur leur triclinium en mode quasi oisif, et pourtant ce peuple ne l’était guère. Ils arrivaient en effet à prendre les bonnes décisions en s’arrêtant, tout en dégustant de succulents mets et en conversant avec un air de rien.

 Il est clair que le sentiment d’ennui peut se vérifier également comme un cocon de protection face à la réalité. La suspension de l’action pouvant aussi empêcher la prise de mauvaises décisions et donc protéger d’un éventuel danger.


 

La question que nous voulions aussi nous poser était celle de la place de l’ennui chez le sujet handicapé. Du fait donc de son handicap, il serait pour la plupart du temps pris dans une toile d’araignée, plus par la non-action que par la monotonie du système. Il est de ce fait important d’occuper l’esprit de ces personnes et de ne pas le laisser errer dans le vide ou dans un monde trop abstrait. Parfois cette population en arrive même au fait de désirer une action répétitive plutôt que de ne rien faire. Si nous prenons l’exemple de FOYER HANDICAP Genève, chez qui nous interrogeons quelques collaborateurs (chefs de secteurs non handicapés et employés en situation de handicap), nous nous apercevrons que leurs propos ne diffèrent pas tellement. L’homme a besoin d’une occupation et l’acceptation de l’ennui stimule aussi la vitalité d’une société en constante évolution.


 

PODCAST/ INTERVIEWS

Nous avons à ce sujet interrogé quelques collaborateurs de FOYER HANDICAP comme Mayra, Ian, Tomas, Moahamed, Michaël, Pedro, puis Jérôme et Olivier sans handicap.

Lorsque nous leur demandons une brève définition de l’ennui, nous retrouvons chez tous la même explication qui est le manque d’activité, bien plus que la monotonie. Tous ont effectivement connu une fois dans leur vie le sentiment d’ennui et pour la plupart y ont discerné tantôt de points négatifs que positifs. Notons aussi l’aspect social qui est primordial dans la thématique de l’ennui « quand on a des amis (…), il nous est difficile de nous ennuyer » affirme Michaël en souriant ; ou encore chez Olivier pour qui l’ennui peut le pousser à contacter des gens. Pour Pedro par exemple, le fait d’occuper une activité chez FOYER HANDICAP lui coupe l’ennui « ça me force à sortir de chez moi et à interagir avec d’autres personnes. » Et pour Jérôme (sans handicap) l’ennui est « un manque d’occupation, de passion et de contact avec les gens. »

Beaucoup nous confient avoir trouvé le temps particulièrement long durant le dolce far niente, qui comme l’exprime cette expression italophone révèle tout de même une certaine « douceur ». « Il faut laisser les enfants s’ennuyer, car cela donne la possibilité de se recentrer sur soi-même (…) et permet au cerveau de se reposer », insiste Jérôme. « Il est bon que les gens s’ennuient » rajoute Mayra malgré que l’ennui l’ait plongée dans des moments très difficiles comme la chute dans certaines addictions. Pour Pedro, c’est la dépression qui entraîne l’ennui, mais le tandem marche dans les deux sens puisqu’il affirme par la suite « sans activité, je reste seul et négatif. »

Olivier lui, a connu aussi l’ennui un jour et ce qui est intéressant c’est qu’il nous confie avoir une légère tolérance à ce genre de situation, car « il ne faut pas que ces moments perdurent… » « Bien qu’il soit important de se les accorder et de les accepter, car ils font naître la créativité. » Comme nous l’affirme Ian aussi « c’est grâce à l’ennui qu’on a pu inventer la voiture » et il sourit. Ce qu’il cherche à nous faire comprendre par-là c’est que la non-occupation stimule nos neurones pour l’imagination. Tout comme pour Tomas qui n’hésite pas à nous dire d’un air bien déterminé que durant l’ennui « on cherche à faire souvent quelque chose de nouveau. »

En réalité, qu’ils soient porteurs de handicap ou non, tous les collaborateurs de FOYER HANDICAP Genève que nous avons eu la chance d’interroger, attribueraient à l’ennui presque plus de positivité que son contraire.

La Fondation déborde en effet de collaborateurs motivés, chasseurs de l’ennui, qui font sans hésitation évoluer l’étymologie de ce mot, aspect naturel chez l’homme.

Le remplissage du vide est d’ordre primordial, un cerveau silencieux toujours parlant et quel que soit son langage, il demeure un outil thérapeutique et vital.  

Commentaire de Mayra, rédactrice
Quel thème intéressant que nous présente Alexandra Spagnolo ! On voit clairement et tant mieux que l’ennui est générateur de choses positives comme l’action et la créativité !