logo facebook

Dans la peau de Rabe Trondro, le poisson-scie

le vendredi, 24 novembre 2023. Publié dans Point de vue

Dans la peau de Rabe Trondro, le poisson-scie

Nous partons faire un long voyage pour une interview exclusive de Rabe Trondro, un poisson-scie de Madagascar. Nous nous rendons à son domicile qui se situe dans la mangrove.

 « Bonjour l’équipe de Synergies, bienvenue dans mon humble demeure. J’espère que vous avez fait un bon voyage ».

Oui, merci beaucoup. WOW ! vous êtes vraiment énorme !

Hahaha, oui, on me le dit souvent. Une fois que nous sommes adultes, nous mesurons 3 mètres de long. Certains de mes frères mesurent 7,5 m et notre poids maximal se situe entre 500 à 600 kilos. Je suis donc plus grand que le requin blanc.

Ah oui ! C’est impressionnant ! Mais ce qui me sidère le plus c’est votre scie. À quoi peut-elle bien vous servir ? À découper vos proies ?

Oui, j’adore les découper en morceau pour ensuite les assembler comme un puzzle.

Vraiment !?

Hahaha, vous êtes bien crédule ! En réalité cette scie est dotée d’organes sensoriels extrêmement bien développés qui me permettent de ressentir les petits signaux électriques émis par mes proies. Cet outil, appelé rostre, m’aide donc pour les chasser et les débusquer dans le sable, même si l’eau est trouble. Je les assomme.

Hahaha, vous nous avez bien eus. À vrai dire, nous étions un peu tendus à cause de votre taille imposante et celle de votre scie.

Ne vous inquiétez pas, je suis inoffensif pour vous les humains.

Mais comment vous présenteriez-vous ?

Je m’appelle Rabe Trondro, j’ai 18 ans. Je suis malgache et fier de l’être.

J’appartiens à la famille des poissons-scies. Au premier abord, on pourrait croire que je suis un requin à cause de ma silhouette fuselée et de mes nageoires pectorales, dorsales et caudales. Mais en réalité, je fais partie de la famille des raies. On voit cela grâce à mes fentes branchiales ventrales, mais également à mes yeux et mes spiracles qui se trouvent sur le dessus de ma tête.

Nous sommes de couleur brune dorée ou gris foncé.

Pouvez-vous nous expliquer ce que sont les spiracles ?

C’est comme le nez chez vous, c’est une ouverture reliée à mon système respiratoire.

On a eu beaucoup de difficulté à venir ici. Nous avons traversé une vaste forêt et sommes arrivés au bord de l’eau dans cette végétation très dense. Comment se nomme ce lieu ?

On a choisi de vivre ici, car c’est un endroit difficile d’accès qui nous protège de nos prédateurs. Cette zone s’appelle la mangrove. Les arbres qui nous entourent sont des palétuviers.

Combien de temps vivez-vous ?

En général, nous vivons une trentaine d’années.

Avez-vous des enfants ?

Avec mon épouse, nous avons eu deux portées de 7 petits avec un écart d’une année, nous avons donc 14 enfants âgés de 3 et 4 ans.

Ils sont nés dans les rivières des mangroves de Madagascar.

C’est à la surface de l’eau que ma femme aime donner la vie, car c’est plus paisible. Elle se sent comme sur un nuage moelleux.

En principe, nous avons des enfants de 8 à 10 ans.

Mais pourquoi faire grandir vos petits ici ?

Tout simplement, je souhaite qu’ils puissent grandir et s’épanouir à l’abri de tous prédateurs sauvages et impulsifs qu’on peut trouver en pleine mer.  

À quel moment vos enfants partent-ils de chez vous ?

Ils quittent le cocon familial dès qu’ils auront atteint leur maturité, afin de rejoindre les océans en s’éloignant un peu des côtes. Ça me rendra triste, mais c’est la vie.

Vous avez l’air très émue avec votre épouse. J’espère qu’ils viendront vous rendre visite le plus souvent possible.

Oui, nous l’espérons aussi.

Est-ce que vous vous sentez en danger ?

Nous aimons les eaux peu profondes, proches des côtes. Nous sommes donc faciles à attraper à cause de notre scie au bout du nez qui s’accroche dans les filets des pêcheurs. Certains sont bienveillants et nous rejettent à la mer.

Nous sommes aussi victimes de la valeur de nos ailerons, nos rostres et notre foie. Ils se vendent très bien au marché noir, en Asie et au Brésil, comme décoration ou comme produit ayant des vertus aphrodisiaques.

De plus, notre habitat naturel, les mangroves, qui nous protègent des prédateurs, est régulièrement détruit. Nos familles n’ont nulle part où aller.

Mes ancêtres ont commencé à disparaître, il y a une trentaine d’années.

Avez-vous toujours vécu ici ?

Au départ, nous vivions sur de vastes régions du globe, dans les eaux chaudes subtropicales proches des côtes. Nous étions dans 78 pays contre 36 actuellement. En 2018, vous les humains, avez mis des mesures de protection pour nous dans 19 nations, dont Madagascar.

Pourquoi est-il important de vous protéger ?

Nous sommes des acteurs essentiels de l’écosystème marin ; nous déplaçons les sédiments et déterrons les petits organismes, et permettons ainsi à d’autres animaux de trouver plus facilement leurs proies.

Nous sommes capables d’effrayer les requins les plus affamés. Nous sommes ainsi un symbole protecteur, guerrier et de prospérité.

Nous jouons un rôle culturel important à Madagascar.

Heureusement qu’une loi a été édictée : elle interdit formellement de nous pêcher dans certaines zones de notre île.

Nous sommes confiants pour l’avenir et avons l’espoir de nous redévelopper comme avant.