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L’Open Dialogue, une approche différente de la psychiatrie

le mardi, 19 juillet 2022. Publié dans Rencontres

L’Open Dialogue, une approche différente de la psychiatrie

Notre rédaction s’est intéressée au point de vue d’un scientifique spécialisé en santé mentale, le Dr Carlos León. Il nous fait part d’une thérapie qui vient du nord de la Finlande, l’Open Dialogue, différente de l’approche pratiquée en psychiatrie à Genève et même au niveau mondial.

Il nous en explique les bienfaits et nous parle des obstacles qu’il rencontre pour sensibiliser l’opinion à cette forme d’organisation psychiatrique. Celle-ci pourrait, selon lui, éviter les hospitalisations des personnes qui traversent des crises psychiques, manifestations hors normes que le commun des vivants nomme « la folie », mais aussi plus récemment et de plus en plus, « autres formes de malaise psychique ».



L’Open Dialogue, c’est quoi ?

Le Dr Carlos León s’est donné comme tâche de sensibiliser, de parler de l’Open Dialogue (ou « Dialogue Ouvert ») et de former des personnes à cette approche qui a été mise sur pied, il y a une quarantaine d’années, en Finlande. Tout a commencé dans un hôpital psychiatrique public du nom de Keroupudas à Tornio, en Laponie occidentale. Il émerge dans la continuité des recherches nationales dirigées en Finlande par Yrjö Alanen dans les années 80.



« Dans la psychiatrie, il semble y avoir deux cheminements : la psychiatrie soi-disant humaniste, sociale, où l’on privilégie d’abord le dialogue, la parole et la communication. Et la psychiatrie d’aujourd’hui qui voit le patient un peu trop comme un objet scientifique à stabiliser et non pas simplement comme une personne », explique le Dr León.

Il nous parle de la formation actuelle des psychiatres où la relation humaine a très peu de place, car le corps médical spécialisé considère le patient uniquement sous l’angle des symptômes qu’il ou elle présente : « C’est la prédominance américaine avec la bible du DSM (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux), où quoi que l’on fasse, nous sommes tout le temps dans une catégorie, nous avons tous une étiquette, là potentiellement sur nos têtes. Nous ne sommes plus vus comme humains, mais nous sommes toujours réduits dans nos identités à nos déficiences. Nous faisons soit un bon pas, soit un faux pas, et ensuite presque par défaut nous recevons des molécules pour nous stabiliser », décrit-il.

« Des psychiatres se sont posé la question : et si avant d’appliquer ces solutions de l’hospitalisation ou la médication l’on pouvait faire autrement et de forme plus efficace ? Pourquoi traiter d’un côté la personne, sans inviter la famille ? Ne serait-ce pas mieux de tout de suite accueillir la famille et la personne en difficulté ? Pas pour les traiter, pas pour les culpabiliser, mais pour discuter, pour comprendre déjà ce qu’il passe quand il y a des crises psychiques », nous interroge-t-il.



Pour le Dr Carlos León, d’après sa pratique de 25 ans en santé mentale à Genève et à Bogotá, ce dont les personnes vivant un trouble psychique ont besoin majoritairement, c’est d’être en relation, de pouvoir être écoutées, de pouvoir être entendues et comprises, et ce, sans jugement de valeur.

Alors, il a travaillé à développer des principes dans le milieu associatif qui permettaient d’avoir moins de hiérarchisation entre les travailleurs sociaux et les usagers et plus de compréhension humaine.

Puis, le Dr Carlos León a eu connaissance d’une méthode allant beaucoup plus loin que ce qu’il avait mis en place à Genève.

« En 2015, je suis parti me former à l’Open Dialogue en UK et ensuite en Finlande. Je crois que je suis le seul francophone à avoir fait cette formation », nous raconte-t-il.



L’approche de l’Open Dialogue n’est pas contre les médicaments, mais elle permet d’en limiter la consommation de telle manière que les personnes n’ont pas à supporter des effets secondaires forts qui les empêchent de continuer leurs projets et de réfléchir : « Après un ou deux ans d’Open Dialogue, les patients restaient en étude ou au travail et n’avaient plus besoin de consommer des psychotropes. C’est quelque chose qui est très étonnant : simplement avec le dialogue, on peut dépasser les difficultés de la vie », renchérit-il.

Il précise par ailleurs : « Si les substances sont nécessaires pour que la personne puisse dormir, car le sommeil est l’une des premières choses qui s’altèrent, c’est OK. Mais il faut que cela soit pour des temps courts, ciblés et dans la mesure du possible sans dépendance. L’idée principale est de privilégier le dialogue avec la personne concernée, la famille et les personnes-ressources, avant TOUT autre traitement. »



Grâce à cette technique thérapeutique, « nous évitons que les gens soient à l’assurance-invalidité et qu’ils ne travaillent pas », s’enthousiasme-t-il. « Nous entendons souvent dire que les personnes assistées socialement pour cause de troubles psychiques sont à la charge de la société, que ce sont des profiteurs. C’est horrible ! », dénonce le Dr Carlos León, indigné. L’AI est un droit en cas de besoin.

L’Open Dialogue permet de réduire l’exclusion et les hospitalisations en offrant la possibilité d’un accompagnement en milieu naturel à domicile : « Le nord de la Finlande était le lieu en Europe où il y avait le plus de cas de schizophrénie. Aujourd’hui, grâce à l’Open Dialogue, il est devenu le lieu où en trouve le moins. Les lits d’hôpitaux n’avaient plus de raison d’être : ils sont passés de 150 à une vingtaine. Les hospitalisations sont devenues rares ou pour des périodes très courtes. Les coûts hospitaliers sont donc réduits ». Les équipes soignantes ont un rôle plus actif social et communautaire.

Grâce à cette approche, les soignants, la famille et la personne en difficulté peuvent dialoguer sincèrement, dans un climat sécurisé et de la manière la plus éthique possible. « L’Open Dialogue favorise d’abord le potentiel et les ressources internes de la personne traitée et de son entourage », souligne-t-il.

L’approche est très collaborative : « Les psychiatres, les infirmières, les psychologues, etc. impliqués dans l’Open Dialogue se considèrent plus comme des accompagnateurs des parcours de vie que comme des thérapeutes ou des psychothérapeutes. Ceux-ci se mettent au même niveau que la personne traitée en tant que professionnels et humains pour pouvoir parler avec elle et l’écouter. »



Les résultats ont été optimaux pour traiter la psychose, considérée comme la forme la plus grave des troubles psychiques : « Si l’on travaille dès les premières crises, très rapidement, et d’une manière adéquate, on va comprendre l’histoire qu’il y a derrière cette crise. Pour l’instant, on fait l’hypothèse en psychiatrie que la personne atteinte dans sa santé psychique a un cerveau endommagé, mais cette hypothèse est non confirmée. Dans l’Open Dialogue, on considère qu’à chaque situation il y a une histoire de choses qui se sont passées dans la vie de la personne et l’on essaie de découvrir cette histoire pour que la personne atteinte puisse passer à autre chose et non rester ankylosée dans le problème rencontré », poursuit-il.

En effet, dans l’Open Dialogue, même si la personne s’enferme, agresse ou parle mal, on tolère ce moment et l’on essaie de rester le plus neutre et le plus éthique possible : « Nous appelons cela, “tolérer l’incertitude”. Nous ne savons pas si la personne va se calmer dans les cinq minutes suivantes. Au bout d’un moment, nous nous rendons compte que l’état de crise diminue, une relation entre la personne traitée et les accompagnateurs s’établit. Alors nous pouvons passer à autre chose. »

Cette méthode parvient à traiter les crises psychiques uniquement grâce à des paroles : « C’est incroyable ! C’est tellement simple que les gens n’y croient pas », s’exclame-t-il.

Cette technique ne s’improvise cependant pas : « Cela demande beaucoup d’écoute, les accompagnateurs apprennent à ne donner que très peu de conseils. Il faut une centaine d’heures pour comprendre comment fonctionne cette méthode. »

L’Open Dialogue soigne tout en permettant à la personne en crise d’exister à nouveau, alors que ses symptômes l’ont fait sortir du « monde des vivants ».



Le Dr León nous fait remarquer que la psychiatrie biologique a de bonnes intentions, mais que la rentabilité y est importante : « Les professionnels qui suivent ce mouvement baignent complètement dans une société où nous sommes valorisés par rapport à quelque chose que nous faisons, combien nous gagnons, etc., et non par rapport à qui nous sommes et quelles sont nos valeurs. L’Open Dialogue permet de revenir à quelque chose de fondamental pour n’importe quel être humain : le fait d’exister. »

L’Open Dialogue demanderait de repenser les infrastructures hospitalières existantes et de former tout le personnel soignant pendant une centaine d’heures. A fortiori également, l’OMS a confirmé qu’il y a un urgent besoin de modifier la manière de faire actuelle. Or, l’Open Dialogue figure comme méthode dans ces recommandations. Pour le Dr León, la volonté politique a des réticences à aller dans ce sens à Genève : « Les institutions ne semblent pas prêtes, pour l’instant, à tenter des approches nouvelles comme celle-là. "Dialogue Ouvert Genève" est une association privée qui vient d’être créée, sans moyens, qui fonctionne pour l’instant avec du bénévolat, tout en essayant de trouver des subventions. »



Les atouts de l’Open Dialogue en résumé

  • Réduction du temps de prise en charge à la survenue des symptômes à travers un téléphone public relié à une équipe soignante prête à se déplacer chez la personne atteinte ;
  • Approche sur mesure des besoins de la personne en crise ;
  • Les gens ne sont pas mis dans des cases, définis par une étiquette ;
  • Pas d’hospitalisation si le dialogue suffit à domicile ;
  • Réduction du temps de l’hospitalisation elle-même si elle a lieu ;
  • Avoir des soignants qui se préoccupent de savoir qui l’on est et ce que l’on pense ;
  • Pour l’Open Dialogue, chaque situation est singulière.

Pour en savoir plus, n’hésitez pas à consulter le site de

Dialogue Ouvert Genève



Commentaire de Sonia Fernandez

L’Open Dialogue semble être une solution pour éviter qu’une crise psychique n’hypothèque de manière très profonde et grave, les désirs et les projets de la personne atteinte. Cette thérapie pourrait empêcher de modifier radicalement le sens d’une vie, notamment en évitant que la personne soit sous une emprise médicale pendant toute son existence.

 

Il est à relever que lorsque nous écoutons le Dr León, nous pouvons espérer changer notre regard sur les maladies mentales qui selon lui, ne sont pas incurables comme le prônent la plupart des spécialistes en la matière.

Réformer le système de santé en psychiatrie ? Pour cela, il faudrait que la société prenne des décisions alternatives pour le bonheur des personnes qui vivent ces situations extrêmes.

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Parcours du Dr Carlos León

portraitCarlos Leon redimensionnee

Le Dr Carlos León est originaire de Bogotá, en Colombie. Il est naturalisé suisse. Depuis sa jeunesse, il vit à Genève.

Il a effectué sa formation de psychologue à Bogotá où il a travaillé pendant cinq ans. Puis, il est venu à Genève pour faire de la recherche.

Il a travaillé pendant 16 ans à l’Université de Genève tout en officiant en même temps, dans un lieu d’accueil social, l’Association Parole où il a pu peu à peu installer un système de communication entre les gens, plus naturel et moins hiérarchique.

Il a donc travaillé pendant 25 ans dans le milieu de la santé mentale, en participant à des missions, à des organisations romandes, comme la CORAASP (Coordination Romande des Associations d’Action pour la Santé Psychique), et en créant des événements pour réfléchir à comment toujours faire mieux pour les personnes avec des difficultés de santé mentale.