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Noël

le mercredi, 20 juillet 2022. Publié dans Culture et loisirs, Contes

Noël

Je m’assois à la table d’un restaurant sous un grand rideau rouge. Je regarde les lumières bleues des décorations de Noël. Je suis seule et je viens de commander un café. A côté de moi, il y a une table disponible, le restaurant est particulièrement peu fréquenté à cette heure-ci.

Tout à coup vient une vieille dame.

Elle est si âgée. Il n’y a personne de son âge dans le restaurant. Elle est habillée en bleu sombre, elle porte une robe d’un autre temps, même sa coiffure rappelle une mode ancienne. D’ailleurs elle est très bien coiffée, qui a pu lui faire cette coupe-là ? Elle doit avoir bien 90 ans, elle est toute voûtée. Une canne à la main, elle se dirige lentement à la table qui est libre à côté de la mienne.

Je m’éloigne un peu d’elle après avoir sorti mon calepin et je me mets à la dessiner car elle a une apparence si singulière.

Je fais mon croquis, elle fait semblant de ne pas le voir.

Puis vient le serveur et elle lui parle dans une langue que j’ignore, mais il y a quelques mots de français. Je lui demande quelle langue elle parle et elle me regarde bizarrement. Je comprends qu’elle me dit qu’elle vient de France. C’est si étrange, c’est comme un patois français ce qu’elle dit et je me demande d’où elle sort. Tout ça me fait penser au film « Les Visiteurs », car on dirait bien qu’elle vient du passé, cette dame.


 

Elle répète au serveur qui ne comprend pas : « Valeriana officinalis ! Valeriana officinalis ! »

Elle a demandé de la valériane au serveur qui se demande ce que cela peut bien être. J’informe ce dernier que c’est une plante aux vertus calmantes.

« Ah non, Madame, on a que de la camomille ou de la verveine ! »

Il lui amène donc une camomille pour simplifier l’échange où il est perdu et moi je crois bien saisir qu’elle parle en latin avec quelques mots de français.

« Simile matricariae recutitae sed non est ! » dit-elle.

Moi, je reste bouche bée. Je lui dis : Quoi ? Vous pouvez répéter et elle répète et je dis « Quoi ! vous pouvez répéter ? » en le disant plusieurs fois et elle s’énerve et moi je griffonne à côté de mon dessin, les mots mystérieux.

Elle boit la tisane et après avoir payé avec de la monnaie que je n’ai jamais vue sur Terre, elle se lève et sort du restaurant. Alors moi je me lève et je la suis.

On est au mois de décembre et il fait déjà nuit dehors, il est 17 heures…

Au coin de la rue, elle prend à gauche et c’est là qu’elle a disparu !


 

Je rentre chez moi et je cherche sur internet les paroles qui sont sorties de sa bouche et il semblerait que « Simile matricariae recutitae sed non est », cela veuille dire :

« On dirait que c’est de la camomille mais cela n’en est pas ! »

Alors là, je me dis : comment c’est possible ?

Je retourne au restaurant voir le serveur. Il me dit : « J’ai vu beaucoup de gens partir sans payer, mais là, de la part d’une vieillarde, je n’aurais jamais pensé ! »

Je lui demande alors de me donner la monnaie qu’elle a laissée. Il me la donne croyant que cela ne vaut rien.

Le lendemain, je me rends à la Faculté des Lettres pour montrer ma trouvaille à un archéologue. On m’indique un bureau, il faut monter des escaliers. Je tombe sur un monsieur lunetteux, pas du tout jeune. Je me sens un peu nerveuse. Je lui raconte l’histoire et lui tend les piécettes, mais il n’a rien compris de ce que je lui dis. Tout à coup il écarquille les yeux parce qu’il a du mal à croire ce que je suis en train de lui montrer.

- Où avez-vous trouvé ça ?

- Dans un restaurant. C’est la monnaie qu’a laissé cette vieille dame mystérieuse… !

- Ce sont des pièces d’une valeur inestimable, elles datent du XIIème siècle !

- Avant ou après Jésus-Christ ?

- Après bien évidemment !

- C’est vraiment mystérieux, vous savez, elle parlait en latin, elle a dit que la camomille qu’elle buvait, cela y ressemblait mais cela n’en était pas.

- Ah oui ? Incroyable !

Il a décroché son téléphone et compose un numéro :

- Il faut que je le dise à mon homologue en Angleterre !

Au moment où son interlocuteur anglais dit « Yes ! » à l’autre bout du fil, il se produit un éclair, les piécettes disparaissent et le téléphone prend feu. Nous nous en éloignons paniqués !


 

C’est là que l’archéologue et moi, nous partons de là rapidement pour donner l’alerte. Au secrétariat, on appelle les pompiers. Tout le monde panique, surtout l’archéologue qui a laissé un parchemin très ancien sur son bureau qu’il était en train d’étudier en collaboration avec une faculté allemande.

Mais à ce stade, le feu a pris tout le bureau et le parchemin est parti en fumée ! Les rideaux commencent aussi à s’embraser et les pompiers tardent à venir. D’ailleurs plusieurs livres anciens de la bibliothèque sont dans les flammes aussi et c’est une catastrophe. Bientôt tous les gens qui étaient dans le bâtiment ont évacué les lieux, on se demande si les pompiers vont arriver.

Le lendemain, les journalistes contactent l’archéologue pour savoir ce qui est réellement arrivé. Alors il m’appelle : « Venez ! Vous devez être là ! » J’arrive aux Bastions où le feu a été éteint et ce dernier raconte l’histoire qui leur apparaît tout à fait très difficile à croire. J’ajoute que j’ai rencontré la dame dans un restaurant près de la gare.

Ils me demandent le nom du restaurant et s’y rendent. Là-bas, ils interrogent le serveur qui explique qu’une vieille dame est partie sans payer il y a deux jours laissant comme pourboire des pièces de monnaie factice.

C’est alors qu’ils se rendent à la Faculté de Physique pour parler avec des physiciens. Ils demandent si un téléphone portable peut s’embraser au contact de pièces de monnaie. L’un de ceux-là répond que leur question est proprement absurde et qu’ils n’ont pas de temps à leur consacrer, car ils ont des cours à donner aux étudiants qui sont en train d’attendre.


 

Le lendemain, on peut lire sur internet à propos de ce feu à la Faculté des Lettres :

« Un incendie d’origine inconnue s’est déclaré hier au département d’archéologie aux Bastions. Il semble qu’un téléphone portable ait pris feu et l’on ne sait pas pourquoi. Les pompiers sont arrivés 15 minutes après le premier appel. À l’heure qu’il est, la situation a été maîtrisée. Une enquête a été ouverte par le Ministère public.»

Moi je lis ça et je crie à voix haute : « Mais non, les pompiers ont mis une heure à venir !! »

J’appelle l’archéologue : « Que pensez-vous de l’article qui a été publié sur internet, lui dis-je ? »

- Personne ne nous croira jamais, dit-il fatigué, car il n’a pas dormi de la nuit suite à cet incident. Mais j’ai raconté l’histoire à Sir Henry, mon homologue anglais. Il m’a appelé ce matin et m’a dit que son téléphone aussi avait pris feu au moment où j’ai tenté l’appel…

- Ah oui ?

- Je lui ai raconté les pièces venant du XIIème siècle et qu’elles avaient disparu subrepticement avec le feu…

- Il vous a cru ?

- Il m’a raconté une histoire similaire d’objets qui disparaissent mystérieusement…

- Ah bon ?

- Oui et il m’a dit qu’il y a des choses qu’on ne peut pas expliquer.

- C’est peut-être les extra-terrestres ? Qu’en pensez-vous ?

Il me regarde dans les yeux sans rien dire.

- Mais moi je vous dis, il y a peut-être une chance de résoudre l’énigme, ajouté-je.

Je lui tends mon dessin que j’avais complètement oublié, je l’avais laissé chez moi au moment où j’avais fait mes recherches internet de vocabulaire latin. L’archéologue examine le croquis et il s’exclame :

- Mais oui, c’est ça ! Ce sont tout à fait ce genre d’habits que les femmes portaient au Moyen Âge !!

- Elle est belle sa robe, n’est-ce pas ? J’ai pas mis la couleur, c’était une robe bleue… Et vous avez vu sa coiffure ?

- Oui tout à fait singulier.

- On peut en informer la police… non ?

- Oui ! Faisons cela !


 

Alors l’archéologue et moi prenons le tram et nous nous rendons au poste de police de la Jonction. Là-bas, nous arrivons à la réception et expliquons que nous avons une preuve susceptible de faire avancer l’enquête sur l’incendie survenu aux Bastions. Nous leur laissons le dessin et partons boire un café.

- Maintenant on peut rien faire de plus, dis-je ! En plus cette femme, elle avait disparu au coin de la rue, on aurait dit comme de la magie. Quelque chose d’incompréhensible !!

- Oui, je comprends. Mais si je racontais ça à Sir Henry, il dirait que la science n’en est qu’à ses balbutiements…

Nous nous séparons.

Dans les jours qui suivent, bien que la police ait fait un portrait-robot de la dame du Moyen Âge avec une technique informatique des plus élaborées et que son signalement ait été fait dans une annonce vocale dans les transports publics, l’enquête est bientôt classée, faute de preuves.